L'an prochain à Auschwitz

Comme tout Juif authentique, Daniel Goldberg a la faculté de se déplacer dans l’espace et dans le temps : expert en déménagement
(persécutions obligent), il a par ailleurs assez d’inlassable curiosité et de folle obstination pour être aussi bien dans un camp de concentration (où il assiste à l’étrange arrivée des Américains) qu’en Palestine (où il tente de sauver Jésus de la croix afin d’épargner aux Juifs l’accusation de déicide), aussi bien dans le château magique du comte Ben Abner (un Zaroff juif) qu’en J’an 4000 avec ceux de la Diaspora galactique.
Le tourbillon de ses aventures féroces et burlesques l’entraîne de camp en camp, de Dieu en Dieu, de femme en femme et, après la sombre Lisbeth, qui n’apprécie que les pèlerinages sur les lieux de l’Holocauste, s’il croit trouver le bonheur avec
la blonde et douce goï Nathalie, à qui il tait son origine, hélas le fils qu’elle lui donne est une telle caricature de Juif que tout va s’écrouler encore une fois.
Ce qui est nouveau dans ce livre allégrement iconoclaste et sans complaisance, ce n’est pas tant une sacrée culture fouettée par une imagination en folie, que le démontage des idées reçues sur les juifs et les chrétiens, le refus du style douloureux, de la nostalgie même. Car ce roman si tonique au contraire est aussi un cri d’alarme destiné à ébranler les bonnes consciences qui
se focalisent sur l’éternel bourreau nazi et le sempiternel terroriste palestinien au lieu d’ouvrir les yeux sur le mal ordinaire : le racisme de l’homme de la rue.
Grâce à l’humour ravageur de Lionel Marek, à son culot époustouflant, qui rivalisent avec ceux des grands écrivains new-yorkais, nous tenons dans cette saga hyperréaliste d’un ashkenaze hanté jusqu’à la paranoïa par la mémoire de son peuple un noir chef-d’œuvre dont l’outrance est à la mesure de l’outrance du destin juif.